Stellar Blade : Eve lève-toi

Comment définir la sortie de Stellar Blade… Prenez un créateur controversé pour ses idées, des personnages féminins hypersexualisés autour desquels ont tourné l’essentiel de la campagne de communication et des communautés de joueurs beaucoup trop à cran et vous obtenez une infinité de débats et autres dialogues de sourds concernant les formes de l’héroïne. Mais quid du reste ? Que vaut Stellar Blade sur le fond ?

L’aventure commence avec un joli plan nous montrant d’énormes vaisseaux spatiaux envoyant des centaines de capsules vers la Terre. Cette dernière est le théâtre d’un affrontement apocalyptique entre des femmes soldats armées d’épées et d’horribles créatures. Au sein de ce chaos, nous incarnons Eve, qui vient tout juste de débarquer sur Terre. Le jeu ne vous laisse pas le temps de comprendre ce qu’il se passe et vous somme d’avancer sous les injonctions de Tachy, une autre guerrière. Le tutoriel se terminera avec la mort de votre alliée et le sauvetage d’Eve par un inconnu.

Suite à ces dramatiques événements, nous apprendrons que les Humains sont en train de perdre la guerre face aux Naytibas, sortes de monstruosités tentaculaires. Le seul espoir réside dans les vagues de combattantes larguées depuis les cieux par la Matri-Arche, une mystérieuse entité dirigeant la Colonie, un refuge spatial. Au fil de ses pérégrinations, Eve rejoindra la cité de Xion, dernier bastion de l’humanité. Là, elle y rencontrera Orcal, un vieux monsieur sachant visiblement tout, qui nous confiera une quête qui nous occupera pendant 80% du jeu : trouver des Naytibas Alpha pour récupérer leurs noyaux afin d’ouvrir l’accès au Nid, le repère du Naytiba Ancestral. Eve sera aidée dans sa quête par Adam, l’homme qui l’a sauvé au début, et Lily, membre du cinquième escadron aéroporté et ingénieure, qui vous fournira diverses améliorations cours de votre mission.

Le fait que le scénario de Stellar Blade tienne sur un post-it n’est pas un problème. Surtout pour un jeu d’action qui priorise le fun instantané à la profondeur d’un récit qui n’est là que pour enchaîner moments de bravoure et justifier le changement de décor. Non, le véritable problème du jeu, c’est son écriture qui n’est pas à la hauteur de ses ambitions, sabotant de ce fait le rythme global de l’aventure. L’échec de la narration débute par les dialogues et la caractérisation des personnages. Tout est plat, enchaîne les poncifs du genre et nous fait rapidement comprendre que les personnages ne sont là que pour remplir une fonction. Adam est le guide qui nous backseat en permanence, Lily la comique du groupe et Eve… Bah, c’est juste une poupée que l’on peut coiffer et habiller selon nos envies. Et ne vous attendez pas à une évolution puisque même lorsque toutes leurs croyances seront remises en cause, ils resteront cantonnés à leurs fonctions. Il en est de même concernant les différents PNJ qui ne servent que d’interface pour une boutique ou de pourvoyeurs de quêtes annexes (inintéressantes au demeurant puisqu’il s’agira presque toujours d’aller récupérer une babiole pour avoir le droit au passé cliché des habitants). Bref, c’est assez décevant.

Un triste constat qui touche également l’univers du jeu. Le titre peine à nous faire croire à son monde désolé, ravagé par des années (siècles?) de guerre. La faute encore une fois à des dialogues d’exposition à rallonge, des « révélations » – que l’on devine des heures à l’avance – frôlant l’incohérence et le choix de placer l’essentiel du lore dans les descriptions d’objets. Une manière de faire qui rappellera probablement From Software à certains mais qui ici ne fonctionne pas. En cause, le manque de narration environnementale – les décors ne racontant rien – mais aussi, et surtout, le fait que ce choix n’ait pas été décidé dès le départ mais au bout de plusieurs mois de développement lorsque Hyung-Tae Kim, le directeur du jeu, s’est rendu compte des faiblesses scénaristiques de son titre… On se retrouve donc face à une aventure principale bateau dans un univers intéressant mais raconté via des lignes de textes au fin fond des menus. Et en relisant les interviews des développeurs qui citaient NieR Automata, Battle Angel Alita ou Blade Runner comme inspirations, j’ai compris l’autre gros problème du titre : son incapacité à comprendre les références qu’il convoque.

Prenons un exemple tout simple avec les geishas apparaissant dans plusieurs œuvres tirées de l’univers Ghost in the Shell. Que ce soit dans le film Innocence ou la série Stand Alone Complex, les personnages sont confrontés à des servantes ayant été hackées. Outre pour le visuel percutant, utiliser des geishas symbolise la condition de ces gynoïdes qui n’existent que pour assouvir envies et fantasmes de leurs créateurs. Les voir se rebeller en arrachant littéralement leurs apparences humaines pour révéler leur véritable condition sous les yeux apeurés d’opulents hommes d’affaires a quelque chose de très fort qui, grâce à un simple design et une bonne mise en scène, nous en apprend énormément sur l’œuvre et ses messages. Concernant Stellar Blade, il utilise lui aussi l’imagerie des geisha mais de manière bien plus basique. Vers la fin de l’aventure, alors qu’Eve explore une zone résidentielle à l’inspiration nippone – fort jolie au demeurant – , nous serons confronté à Karakuri, une créature grotesque, amalgame de plusieurs androïdes et Naytibas. Toutefois, le corps principal est clairement inspiré par les Geishas. Au fil du combat, le boss révélera de plus en plus sa nature mécanique, notamment lorsque son visage s’ouvrira sur une ossature robotique d’une manière très similaire à celles de GitS. Le souci, c’est qu’il n’y a aucun message derrière cette apparence, ni même ce combat. On nous tease le monstre quelques minutes avant, sous-entendant qu’il nous observe dans l’ombre, pour finalement nous le jeter à la figure sans aucune subtilité. En allant lire la fiche de bestiaire associée à Karakuri, on apprend que suite à la contamination des Naytibas, les androïdes geishas ont fusionné en cet amas difforme et… C’est tout. Alors, est-ce grave que Stellar Blade réutilise une idée chouette sans en comprendre le sens où lui en donner un nouveau qui soit en adéquation avec son univers ? En pratique, non. Faire des références à d’autres œuvres est quelque chose de très courant dans le jeu vidéo. Là où ça devient problématique c’est lorsque, tel Karakuri, toutes ces références s’agglomèrent pour former un tout vide de sens. Au final, le titre de Shift Up tente de se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Bien loin des réflexions sur la nature humaine, la philosophie ou le transhumanisme d’un NieR, GitS ou autre Blade Runner, Stellar Blade va juste réutiliser leurs imageries pour suggérer ces messages sans jamais les exploiter. Le jeu s’avère donc plutôt creux sur ces aspects. Heureusement, il se rattrape sur d’autres.

Maintenant que le principal problème est évacué, il est temps de parler de tout ce que réussit le jeu. Et pour un premier titre à gros budget – le studio s’étant jusqu’à présent cantonné aux jeux mobiles –, il faut avouer que Stellar Blade frappe fort. Le jeu est techniquement presque irréprochable. Fluide, offrant un excellent compromis entre graphismes et FPS, le titre est extrêmement propre et se hisse sans difficulté parmi les plus beaux jeux de la console. Outre les personnages, les monstres ont eux aussi bénéficié d’un minutieux travail pour donner vie à des modèles 3D détaillés. Des modèles qui sont mis en avant grâce à une animation extrêmement réussie. Que ce soit la souplesse d’Eve, la lourdeur d’un mecha ou la puissance d’un Gigas, tout est magnifiquement retranscrit pour accentuer leurs capacités et leurs mouvements. Une immersion renforcée par une astucieuse utilisation des capacités haptiques de la Dualsense. Du côté des environnements, on regrettera une prédominance de tons marrons/gris visiblement indissociables des univers post-apocalyptiques. Malgré quelques zones plus travaillées, aucune ne restera vraiment en mémoire une fois l’aventure terminée. La déception visuelle est toutefois compensée par un level-design intéressant offrant une progression agréable. Sauf quand il y a des lasers…

L’exploration est un autre point fort de Stellar Blade. Le jeu est découpé en zones que l’on peut rejoindre soit via la ville de Xion, qui sert de hub central, ou grâce à un système de téléportation. On peut classer ces environnements en trois catégories : les niveaux « classiques » qui sont cloisonnés et proposent un cheminement linéaire, les abysses dans lesquelles vos attaques au corps-à-corps sont désactivées et les zones ouvertes, sorte de mini-mondes ouverts. Indépendamment, ces espaces fonctionnent bien mais leurs variations de mécaniques et leur « déconnexion » – on ne peut passer d’un lieu à l’autre de manière fluide – malmènent la cohérence de l’univers et l’immersion. On a plus l’impression de jouer à trois jeux différents tentant de cohabiter au sein d’un même titre. Cette structure est d’ailleurs mise à mal par le scénario qui impose plusieurs points de non-retour bloquant totalement l’accès à certaines quêtes, obligeant de ce fait les complétionnistes à mettre en pause le scénario en plein milieu de l’aventure pendant une dizaine d’heures le temps de tout faire… Cependant, comme dit précédemment, l’exploration est réussie dans Stellar Blade. Les niveaux linéaires offrent quelques secrets et des séquences spectaculaires et alternent moments de calme et succession d’ennemis sans que cela devienne trop redondant. De la même manière, les deux déserts servant de zones ouvertes parviennent à maintenir notre intérêt en ne proposant jamais deux fois la même chose. Vous serez régulièrement confrontés à des puzzles ou des parcours mettant votre dextérité à l’épreuve, mais tous seront uniques évitant ainsi l’écueil dans lequel tombent de nombreux OW. Je suis malheureusement moins enthousiaste concernant les abysses. En lorgnant du côté du survival-horror, Dead Space en tête, Shift Up montre ses limites en ne parvenant pas à créer des situations intéressantes la faute à un gameplay limité en mode TPS et à une redite des ennemis/boss et situations rencontrés. Mais cela n’entache en rien le plaisir pris sur la globalité du jeu.

Et tant que l’on parle de plaisir, abordons ce qui est pour moi LA force de Stellar Blade : son gameplay. À la croisée de Sekiro, Nioh mais aussi Uncharted et NieR, le titre de Shift Up parvient à se créer sa propre identité. En piochant diverses idées ailleurs et en les adaptant selon ses besoins, Stellar Blade se montre très plaisant manette en mains. Eve répond au doigt et à l’œil, malgré une imprécision par moment frustrante lors des sauts, et se déplace avec rapidité dans les différents biomes grâce à diverses capacités comme la nage, le double saut, le dash mais aussi l’absence d’éléments de décor entravant nos déplacements. Vous savez, ces petits cailloux d’un centimètre de haut qui stoppent net votre personnage en train de sprinter.

Mais le cœur du jeu, c’est bien évidemment ses combats. Basés sur les réflexes des joueurs, ils mêlent esquives millimétrées, parades parfaites et compétences spéciales pour donner vie à de véritables ballets aux chorégraphies mortelles. Outre son épée, avec laquelle elle peut alterner coups faibles et forts, notre héroïne dispose de deux jauges spéciales offrant un total de huit techniques spéciales, mais aussi d’un drone pour attaquer à distance et d’une transformation vous rendant invincible un court instant. C’est donc un bel éventail de possibilités qui s’offre à nous et qui révèle toute sa richesse lors des joutes contre les boss. Points d’orgues de tout bon jeu d’action, Stellar Blade se devait de réussir ces affrontements et il s’en sort avec les honneurs. Visuellement époustouflants, proposant une mise en scène et des patterns amusants, ils sont incroyablement cools. Cerise sur le gâteau, ils restent lisibles en permanence. Un tour de force lorsque l’on observe la pléthore de titres se ratant sur ces combats. Tout ceci est complété par divers arbres de compétences, des accessoires conférant des bonus passifs et l’amélioration de notre équipement. En résulte un jeu tout simplement fun que l’on prend plaisir à lancer pour la nervosité de ses mêlées, sa beauté technique et son ambiance.

Et c’est finalement là qu’est la véritable réussite de Shift Up. Sous ses dehors de nanar S-F peu inspiré aux protagonistes dénudées, se cache une boucle de gameplay efficace, d’excellents combats et une technique de haute volée. Un premier essai dans la cour des grands couronné de succès qui laisse augurer de très belles choses pour la suite. En espérant plus de fond que de formes.

AlxZ_Rex

AlxZ_Rex

J'écris mes articles à Rabanastre tout en recherchant mon courage dans Alien.

Articles: 26

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *