Jaquette officielle du jeu God Of War

God of War : réécrire le mythe

Si je vous dis « personnage bourrin de jeu vidéo», il y a de fortes chances que vous me citiez Kratos. Le héros de God of War n’est en effet pas connu pour son goût du raffinement mais plutôt pour sa violence et ses mises à mort toujours plus dégueux. Et pourtant, après des années de démembrements, c’est un homme assagi qui s’est présenté à nous en 2018. Mais peut-on vraiment changer le passé ? À quelques jours de la sortie de God of War Ragnarök, revenons ensemble sur la réussite de l’épisode précédent.

Grèce ravagée

En 2005, le premier God of War sort de manière relativement discrète sur PS2. Cependant le très bon accueil de la presse et le bouche-à-oreille contribueront à en faire un succès avec plus de trois millions d’exemplaires vendus.
Fort de ce succès, Santa Monica (le studio derrière GoW) applique la règle du « Deux fois plus » pour une suite qui arrivera deux ans plus tard. Cet épisode entérinera la réussite du premier et fera entrer Kratos au panthéon des héros du jeu vidéo – tout en devenant l’un des personnages phares de Sony-.

Après deux épisodes PSP, God of War III débarque sur PS3. Le jeu est unanimement félicité et culmine au sommet des jeux de sa génération avec un joli 92 sur Metacritic. Et puis arrivera l’épisode Ascension qui ironiquement fera chuter Kratos de son piédestal.

Le dieu grec ne donnera alors plus de signe de vie avant l’E3 de 2016 et son trailer de presque dix minutes en pleine forêt enneigée.

Cette première vie de notre chauve énervé s’est faite sous le signe du beat them up. Reprenant la mythologie grecque aussi librement que Disney dans son film Hercules, Santa Monica y a surtout vu là un moyen de nous faire affronter un bestiaire varié, rarement vu dans notre média, mais surtout totalement démesuré.

Hydre, Titan et Dieux aux pouvoirs démesurés tombent sous les coups de notre personnage, nous faisant ressentir un sentiment de puissance jamais égalé par la concurrence.

Si dans leurs structures, les GoW sont des jeux assez classiques pour le genre (couloirs, « énigmes et salles remplies de monstres avant d’atteindre le boss et tout recommencer), ils se différencient par leur mise en scène.

En adoptant une vue à la troisième personne assez éloignée, la caméra nous permet de visualiser les hordes d’ennemis tombant sous nos coups tout en nous offrant très souvent d’incroyables panoramas remettant en perspective le gigantisme de certains opposants. Cela crée également un contraste assez saisissant lorsque, à l’occasion d’un finish sanguinolent, la caméra zoome sur le héros en train d’achever son adversaire.

C’est là qu’est la véritable force de la série, tout est axé vers la montée en puissance de Kratos. God of War est d’ailleurs l’un des rares jeux qui ne remet pas systématiquement son héros à nu à chaque nouvel épisode. Mais cette quête du « toujours plus » a des limites que Santa Monica a atteint après le troisième épisode. Kratos venait de mettre fin à l’intégralité du panthéon grec en annihilant les dieux mais aussi la plupart des créatures mythologiques qui y sont associées.

Comment faire plus ? Comment se réinventer ? Après un essai de retour vers le passé – en total désaccord avec l’évolution constante effectuée jusque ici – les développeurs se sont rendus à l’évidence : l’histoire de Kratos en Grèce était terminée et le personnage n’avait plus rien à raconter. Sa quête était finie.
À moins que…

Exil vers le Nord

Après un God of War III couronné de succès et un Ascension boudé, nul doute que la question de la direction à prendre s’est posée au sein du studio. Après avoir travaillé sur un jeu à l’ambiance futuriste (nom de code Internal 7), la dure réalité a rattrapé le studio qui a dû faire face à une vague de licenciements.

Décision fut donc prise de revenir à God of War mais avec une nuance. Après avoir exploré le côté guerrier en quête de vengeance du personnage, Cory Barlog (le créateur de la série) s’est posé la question suivante : à quoi ressemble Kratos, le père ?

Voilà le point de départ de ce qu’allait être le renouveau de la licence. Afin de marquer encore plus la différence avec les précédents opus, l’histoire se déroulerait beaucoup plus au Nord (après avoir envisagé l’Égypte) des années après la chute de l’Olympe…

God of War version 2018 s’ouvre sur un Kratos vieilli en train de couper du bois en pleine forêt. Après quelques instants, on découvre que ce dernier a désormais un fils, Atreus.

S’en suit une séquence de chasse servant de tutoriel et se concluant sur un combat de boss contre un gros troll. L’introduction est étonnamment calme pour la série et s’avère beaucoup plus posée que par le passé. C’est également l’occasion de se faire aux gros changements opérés par Santa Monica.

La caméra est désormais libre – même si Kratos occupe en permanence la moitié de l’écran -, et les environnements plus ouverts. Quant aux affrontements, ils sont plus brutaux que jamais. Chaque impact de hache se ressent manette en main et les finishs profitent de la vue rapprochée de l’action pour nous en mettre (littéralement) plein les yeux. Et pourtant, malgré cette débauche de corps démembrés fidèles à la série, on a l’impression que le jeu a passé un cap. Graphique bien sûr mais surtout en termes d’ambitions.

Après des années un peu rebelles à hurler sa colère à la face du monde, God of War nous revient plus mature, presque apaisé. Puis Baldur arrive.

Le personnage de Baldur dans God Of War
Coucou, je viens vous mettre une baffe

Le calme avant la tempête

L’entrée en scène du dieu nordique est incroyable. Après trente minutes assez calmes, c’est un véritable déchaînement de puissance et de violence qui se déroule sous nos yeux. Les deux divinités hurlent, détruisent l’environnement et rien ne semble pouvoir les arrêter. Jusqu’à ce que Kratos, dans une scène viscérale, brise la nuque de son adversaire.

Cette séquence est d’une intensité rare et nous prouve que non, Kratos n’a rien perdu de sa rage. Il a juste appris à la canaliser. Le jeu reprend ensuite un rythme plus posé. Peut-être même trop. En effet, le reste de l’aventure aura du mal à retrouver l’effet « wahou » provoqué par ce duel.

Aucun autre combat ne procurera les mêmes sensations, pas même l’ultime confrontation qui n’est qu’une redite. Pour autant, les combats de God of War restent très satisfaisants.

L’arsenal de coups disponibles donne une vraie impression de puissance et rend hommage à la licence. La hache Léviathan offre beaucoup de possibilités et un bel éventail de techniques. En plus, de donner lieu à une animation très stylée lorsque Kratos la rappelle à lui. Mais la vraie réussite du titre se trouve ailleurs.

Fils de dieu

Atreus dans God of War

À mes yeux, Atreus est probablement la meilleure chose qui soit arrivée à Kratos mais aussi à God of War. Donner un fils à cet homme qui a tué sa première famille et des centaines d’innocents a permis de poser un nouveau regard sur ce héros et montrer qu’il avait d’autres facettes.

Ce n’est pas qu’une machine à tuer, il est aussi capable d’aimer.
Cependant sa peur de trop en montrer à son fils l’oblige à cacher des choses, à se contenir. Et le joueur est dans la même situation car il sait très bien ce que Kratos a fait dans les précédents jeux puisqu’il était à ses côtés.

C’est nous qui avons éradiqué l’Olympe, tué des civils parce que « pourquoi pas ? » et forniqué avec moult femmes. L’identification au héros est donc très forte de par ce passé commun. Il est donc tout à fait logique de ne vouloir rien à dire à Atreus. C’est aussi pour cette raison qu’il y a de fortes chances que le gamin vous agace au début du jeu. Pourquoi devoir faire route avec ce qui s’avère être un boulet ne servant visiblement pas à grand-chose ?

Encore une fois, notre volonté ne fait qu’une avec celle de Kratos qui ne veut pas de son fils dans les pattes. Ainsi les dix premières heures se font avec un dieu presque mutique, un enfant frustré de ne pas avoir l’attention de son père et la sensation d’être face à un jeu qui se retient.

Certes les environnements sont magnifiques et certaines séquences comme l’arrivée chez Freya ou le réveil du Serpent-Monde sont époustouflantes mais il manque quelque chose au titre pour vraiment rentrer dans la cour des grands.

Quid des nouveaux joueurs ?

Si l’identification à Kratos coule de source pour celles et ceux ayant joué aux premiers jeux, elle n’est en revanche pas évidente pour les nouveaux arrivants sur la série. Comment s’attacher à ce monolithe parlant à son enfant comme on parlerait à un chien ?

Sauf que là encore, le talent de Santa Monica a frappé et ces néophytes trouveront écho dans le personnage d’Atreus. Comme lui, ils ne connaissent pas le passé de ce père sévère et tenteront de percer sa carapace tout au long du jeu. Cette dualité de l’écriture est l’une des plus belles réussites du titre.
Nouveaux et anciens joueurs peuvent ainsi apprécier l’aventure sans soucis et partir sur un pied d’égalité pour ce qui fait office de soft reboot pour la série.

Une évolution intéressante

Heureusement Atreus évolue. Il récupère de nouvelles armes, se montre de plus en plus efficace en combat et ses indications se révèlent finalement extrêmement utiles lorsqu’il s’agit d’éviter une attaque dans le dos. Le placement de la caméra se révèle ainsi être une idée judicieuse puisqu’il est impossible pour nous d’affronter les hordes d’ennemis seul. On se repose donc de plus en plus sur l’enfant et, comme son père, on remarque qu’il grandit et que ce voyage aurait été beaucoup plus dur sans lui.

C’est à mi-parcours, au moment où l’on commence à se faire cette réflexion, que le jeu nous livre l’une de ses meilleures scènes. Après un violent combat contre les fils de Thor, Atreus est blessé et le seul moyen de le sauver et de se rendre à Helheim, l’enfer gelé. Mais pour survivre dans ce royaume glacé et soigner son fils, Kratos n’a d’autre choix que de faire face à son passé…

Des mises en scène marquantes

Kratos dans God of War

Notre héros retourne seul chez lui sous un ciel de fin du monde. Perdu dans ses pensées, une figure du passé lui apparaît : Athéna.

Les joueurs de la première heure sentent que quelque chose se prépare et des frissons les ont probablement parcourus lorsque Kratos récupère ses armes fétiches, les lames du chaos.

C’est à ce moment que le dieu arrête de fuir son passé et assume sa vraie nature. Comme il le dira, Kratos reste un monstre mais il n’est plus celui d’Athéna. God of War renoue alors avec sa violence d’antan lorsque l’on balaye les ennemis dans des vagues de feu destructrices.
Le dieu n’a rien perdu de sa furie.

Cantonné aux coups de hache jusque là, ces retrouvailles – en plus d’être un moment fort de l’histoire – renouvellent le gameplay de fort belle manière et à point nommé. Tellement que l’on aura l’impression de jouer à un autre jeu.

Sentiment renforcé par un Kratos qui s’ouvre enfin à son fils donnant lieu à de véritables échanges entre le duo – trio même si l’on compte Mimir -.

Gameplay et scénario sont donc intimement lié, créant un tout parfaitement cohérent. Le joueur est impliqué en permanence dans l’histoire et aucune scène ne vient nous sortir de l’immersion. Contrairement à un RPG nous assaillant de combats aléatoires ou d’un Uncharted voyant son héros tuer des centaines d’adversaires, la dissonance ludonarrative est absente de cette aventure qui est un véritable modèle d’écriture et de game-design.

Et le reste ?

Non content d’offrir une symbiose entre jeu et histoire, God of War peut se targuer d’être l’un des plus beau jeu de sa génération.

Effets de particules à foison, textures détaillées et direction artistique de haute volée, le titre n’est jamais pris en défaut sur l’aspect visuel. Fait d’autant plus remarquable par l’absence de temps de chargement et le parti-pris de faire de l’aventure un plan séquence de 20 heures.

D’un point de vue sonore, les morceaux composés par Bear McCreary accompagnent à la perfection les différentes étapes de notre quête y insufflant une ambiance tantôt mystique, tantôt épique. Le tout est soutenu par un doublage français de qualité qui respecte les personnages avec une justesse irréprochable.

Semi-ouvert de qualité

Le jeu se renouvelle également sur sa structure. Finis les niveaux linéaires n’offrant que peu de possibilités d’exploration, God of War sauce 2018 est un monde semi-ouvert.

Avec son lac des Neufs faisant office de plaine d’Hyrule, le titre nous propose énormément de zones cachées et totalement annexes à visiter en plus d’offrir un accès vers d’autres royaumes regorgeant eux-aussi de secrets. Cette ouverture en termes de level-design permet au joueur de faire une pause quand il le souhaite en s’écartant de la voie principale.

Les développeurs ont aussi repensé les énigmes qui font désormais beaucoup plus appel à votre sens de l’observation et votre logique, tout en utilisant avec intelligence les compétences en votre possession.

Quelques petits défauts

Alors bien sûr, le jeu n’est pas exempt de défauts.

Certains dialogues ou situations sortent un peu de nulle part. Des personnages apparaissent d’on ne sait où toujours au bon moment – même si c’est expliqué pour les nains -.

Mais surtout quelques passages nous ramènent des années en arrière comme cette traversée de Helheim en bateau volant où vous devrez repousser des hordes d’ennemis pendant de (trop) longues minutes…
Cependant, on a à peine le temps de râler que le jeu nous happe par sa pléthore de contenu, ses combats nerveux et son esthétique incroyable. Tout est très vite oublié et il ne reste à la fin que la sensation d’avoir fait un grand jeu comme il y en a peu.

God of War Ragnarök fera-t-il aussi bien ? Voire même mieux ? La barre est extrêmement haute, l’effet de surprise dissipé. Les attentes sont donc très grandes pour ce qui s’annonce comme étant déjà la fin de ces aventures nordiques. Avant un nouvel exil en d’autres terres ? Réponse dans quelques jours.

AlxZ_Rex

AlxZ_Rex

J'écris mes articles à Rabanastre tout en recherchant mon courage dans Alien.

Articles: 25

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *